Affaire Chlordécone : Un Scandale

Découvert en 1951, breveté en 1952, le chlordécone est commercialisé dès 1958 par la société américaine Allied Chemical sous les noms de Kepone et de GC-1189. Cette société a produit entre 1966 et 1975, du Kepone dans une usine située à Hopewell,

 

La commission d’étude de la toxicité des produits phytopharmaceutiques, des matières fertilisantes et des supports de culture a recommandé l’interdiction du produit du fait de sa dangerosité potentielle pour l’humain et pour l’animal.

 

Malgré l’interdiction d’utilisation recommandée par la commission d’étude de la toxicité des produits phytopharmaceutiques, des matières fertilisantes et des supports de culture, le chlordécone est utilisé sans aucune protection dans les bananeraies de Martinique pour la destruction d’insectes ravageurs affectant la banane dès 1972.

 

L’usine de production située à Hopewell, dans l’Etat de Virginie fut fermée en raison des graves manquements aux règles d’hygiène et de sécurité dans la chaine de production qui furent mis en lumière et de l’intoxication sévère dont souffraient les ouvriers de l’usine ainsi que les personnes habitant à ses abords : l’on parlait alors du syndrome du Kepone, lequel se traduisait par des tremblements, des pertes de la mémoire immédiate, des troubles de l’humeur.

 

Suite à la réalisation d’études ayant établi un lien de causalité entre l’utilisation du Kepone et l’apparition de graves affections, la production et la commercialisation du  Kepone  furent prohibées en 1976 par les autorités fédérales américaines.

 

Le chlordécone est classé comme substance « cancérogène possible » par l’OMS en 1979. 

 

Le Chlordécone fut interdit en France métropolitaine dès 1990, alors qu’il fut massivement et légalement utilisé aux Antilles françaises de 1972 à 1993 , à grands coups d’autorisations provisoires (qui, mises bout à bout, n’eurent plus rien de provisoire) et de dérogations.

 

Devant toutes ces interdictions  d’utilisation du produit et surtout de sa nocivité pour l’humain et les animaux, le Chlordécone est finalement interdit en Martinique. 

 

Devant la gravité de la situation, Maître  Harry J.DURIMEL propose de déposer une plainte pénale en parallèle aux actions menées sur le terrain. Trois mois ont été nécessaires pour les recherches juridiques  afin de rédiger cette plainte. Une fois terminée il a fallu s’assurer de la « qualité pour agir » des personnes morales qui la porteraient. C’est ainsi que, le 23 Février 2006, les associations SOS ENVIRONNEMENT GUADELOUPE, UNION REGIONALE DES CONSOMMATEURS (URC), AGRICULTURE – SANTE – SOCIETE – ENVIRONNEMENT ( ASSE), et le syndicat UNION DES PRODUCTEURS AGRICOLES DELA GUADELOUPE (UPG,) ont déposé plainte contre X, devant Monsieur le Doyen des Juges d’Instruction près le Tribunal de Grande Instance de BASSE-TERRE, afin que les responsables de la pollution au chlordécone qui affecte les sols de la GUADELOUPE et la chaîne alimentaire, soient identifiés et sanctionnés.
Curieusement, alors que la plainte avait été régulièrement déposée, le 23 février 2006, et que le Ministère public s’acharnait à la faire avorter, jusqu’en cassation, ce n’est que le 5 mai 2008 qu’elle était enregistrée

Au niveau de la Martinique des associations comme l’Assaupamar, Ecologie Urbaine ou encore l’AMSES ont aussi porté plainte pour empoisonnement dans le cadre du scandale à la chlordécone. 

En réponse aux fortes préoccupations exprimées par la population concernant les effets de la pollution par la chlordécone en Martinique et en Guadeloupe, le gouvernement français a mis en place d’importants moyens pour répondre à cette situation de pollution à travers :
 – un premier plan d’action national (2008-2010) d’un montant dégagé par l’Etat d’environ 33 millions d’euros (20 M€ Etat, 10 UE et 3 collectivités locales) ;
un deuxième plan d’action (2011-2013) d’un montant dégagé par l’Etat d’environ 31 millions d’euros. (dont environ 22 millions pour l’Etat). Ces deux plans ont permis une mobilisation renforcée des services de l’État et de différents opérateurs (organismes de recherche nationaux et régionaux, laboratoires d’analyse, Chambre d’agriculture et organisations agricoles, Comités régionaux des pêches maritimes et des élevages marins, Agences Régionales de Santé, …) au niveau national et régional. A travers ces deux plans, l’action de l’État et de ses opérateurs s’est principalement déployée dans cinq directions :

L’amélioration des connaissances
La protection des populations
– Le développement et le renforcement de moyens régionaux de mesure.
– La sensibilisation de la population 

 

Le bilan des deux premiers plans chlordécone et une évaluation de la situation des territoires de Martinique et de Guadeloupe ont conduit à l’élaboration d’un troisième plan, annoncé par le Premier ministre lors de son déplacement en Martinique et en Guadeloupe du 26 au 29 juin 2013. Le plan chlordécone III (2014-2020), qui est le fruit du travail associant un ensemble d’acteurs, a été mis en œuvre à partir de janvier 2015.
Ce plan a pour objet de poursuivre les actions engagées pour protéger la population  (surveillance et recherche) mais aussi d’accompagner les professionnels fortement impactés par cette pollution, notamment les pêcheurs du fait de la diffusion de cette molécule dans le compartiment marin. Il s’agit également de créer les conditions pour développer la qualité de vie des populations sur le plan économique, sanitaire, social et culturel.
Le troisième plan chlordécone vise à passer d’une logique de gestion de court terme des effets collatéraux de la pollution à une véritable logique de long terme de développement durable des territoires, intégrant la problématique de la chlordécone.

Si ce pesticide visait à l’origine la destruction d’insectes ravageurs affectant la banane, il a aussi impacté la terre, l’eau, la mer mais aussi, les femmes les hommes, les enfants, (95% des corps guadeloupéens et 92% des corps martiniquais en sont gorgés). Cette molécule s’installe durablement dans les nappes phréatiques et s’infiltre dans les sols sur et dans lesquels poussent fruits, légumes ainsi que tubercules qui s’en gorgent avant de se retrouver dans nos assiettes, les produits d’élevage et de la mer n’étant point en reste.

Des recherches scientifiques montrent que les sols et les eaux sont contaminés pour 500 à 700ans. Actuellement la Martinique enregistre le plus haut taux de cancers de la prostate, et détient à ce titre, un triste record mondial. 

  • Emmanuel Macron lors d’une conférence de presse en Martinique, le jeudi 27 septembre 2018, a reconnu que l’Etat était en partie responsable de la pollution massive des Antilles à la chlordécone. « La pollution à la chlordécone est un scandale environnemental dont souffrent la Martinique et la Guadeloupe depuis 40 ans. (…) Ce fut le fruit d’un aveuglement collectif . L’Etat doit prendre sa part de responsabilité.», a déclaré le chef de l’Etat en précisant aussi que : « l’état des connaissances scientifiques (…) ne permet pas de certifier la dangerosité de la molécule pour la santé humaine ».Cette déclaration du président est surprenante puisqu’il a parlé de la question de la réparation en ouvrant les registres de maladies professionnelles et de l’autre côté, il parle de dangers non certifiés. Il faut néanmoins souligner que c’est la première fois que l’État reconnaît sa responsabilité dans cette tragédie environnementale.

Par courrier en date du 1er Décembre 2019, Yan Monplaisir, 1er vice président de l’Assemblée, attire l’attention du Président Macron sur la souffrance et le trouble de la population Martiniquaise qui, comme celle
de la Guadeloupe, se sait empoisonnée toutes générations confondues par le chlordécone et précise :  » La population martiniquaise est plutôt
pacifique, mais une colère irrévocable gronde. Car les Martiniquais ont l’impression que la responsabilité de l’Etat, évoquée dans le rapport parlementaire, voudrait masquer la responsabilité des empoisonneurs connus.
Elle ne comprend pas. Elle ne s’explique pas non plus que la seule personne condamnée à ce jour dans l’affaire du chlordécone, soit Lucette MICHAUD-CHEVRY.
Gouverner c’est prévoir et la colère martiniquaise était prévisible. Seule une vraie justice saura l’apaiser. Pas de justice, pas de paix dit-on souvent… »

Lors de l’audition d’Eric Godard, le mercredi 25 février 2019 par la commission parlementaire, l’ancien Fonctionnaire de l’ARS a révélé que la pollution à la chlordécone de nos eaux était bien connue des autorités, elles auraient laissé la population boire de l’eau polluée en toute connaissance de cause. 

L’alerte aurait donc été donnée dès 1991. Les premières fermetures de captage à cause de pollution aux pesticides  chlordécone et HCH n’auront pas lieu  avant 1999. Il faudra même attendre 2003 pour voir l’usine de Vivé  équipée de filtres pour décontaminer l’eau polluée,  Dix  années où de Macouba à Sainte-Anne plus de 100 000 foyers ont donc consommé de l’eau chargée en pesticide que les autorités assuraient potable.

Devant l’enlisement de la plainte de février 2006, Maître Harry Durimel a envoyé un courrier en date du 18 septembre 2020, au garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti, pour attirer son attention sur la lenteur de la justice, dans ce dossier Chlordécone où il déclare entre autres : « Ce qui est certain, c’est qu’elle génère un délai de procédure outrageusement déraisonnable, qui est contraire à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme. C’est pourquoi j’en appelle humblement à votre ministère afin que justice soit rendue dans un délai raisonnable, ce qui permettrait aux antillais de ne pas se sentir abandonnés par l’Etat qui les a empoisonnés. »

 

Les associations Vivre, CRAN et Lyannaj pou depolyé Matinik, par la voix de leur avocat, Christophe Léguevaque, ont demandé l’ouverture d’une nouvelle instruction sur des possibles stocks de chlordécone enfouis. L’existence de ces stocks a été révélée par Joël Beaugendre, maire de Capesterre-Belle-Eau en Guadeloupe et ancien député lors d’une commission d’enquête parlementaire en septembre, mais aussi dans l’émission « Complément d’enquête » diffusée fin février sur France 2 où un responsable du service de la protection des végétaux du ministère de l’Agriculture, confirmant avoir enfoui clandestinement du chlordécone.