Affaire Chlordécone : Un Scandale

La sénatrice guadeloupéenne, Victoire Jasmin, a interpellé ce mercredi 10 février, le Garde des Sceaux, Eric Dupont-Moretti sur plusieurs problématiques liées au sujet du chlordécone et notamment sur le fait que les documents utilisés par la commission d’enquête parlementaire ont été scellés et  ne seront pas consultables avant 2044. Victoire Jasmin a aussi évoqué le risque de non-lieu suite aux plaintes déposées par des associations. « S’agit-il Monsieur le ministre, de dissimulation avérée de preuves, S’agit-il d’un déni de justice ? S’agit-il de mépris à l’égard de ces populations ? »

En l’absence du ministre de la Justice, c’est Olivier Veran, le ministre des Solidarités et la Santé qui a répondu.« Nous avons tous conscience que le chlordécone était une vraie saleté, une vraie saloperie (…) qui a pourri les sols, qui a un effet rémanent pendant 600 ans… », a-t-il commencé avant de souligner que l’État français s’était déjà engagé à travers trois plans et un quatrième à venir.
Sur l’information judiciaire, le ministre, a dit comprendre « la légitime émotion » mais précisé que le gouvernement ne peut ni interférer ni commenter » une enquête en cours en vertu de la séparation des pouvoirs.
Il a, en revanche, salué l’implication de la société civile, des associations et des particuliers au plan chlordécone IV, dont les moyens ont « presque doublé ».

 

Ce jeudi 11 février 2021, à la maison des syndicats, une quarantaine d’organisations syndicales, politiques, associatives ont décidé de réagir de concert à l’annonce du possible non-lieu dans l’affaire du chlordécone, leur objectif : appel à la mobilisation massive du samedi 27 février prochain.

Parmi eux, Francis Carole, président du Palima (Parti pour la libération de la Martinique) déclarait d’entrée : « Face à ce crachat de l’État, nous devons réagir collectivement. Il s’agit d’organiser un mouvement de masse qui seul fera sens et surtout permettra d’infléchir les décisions suspectes prises par l’État »,
De son côté Phillipe Pierre-Charles, secrétaire général de la CDMT souligne : « bien que nous soyons issus de bords politiques, d’obédiences associatives aux objectifs distincts, nous sommes toutes et tous conscient.e.s  que c’est massivement que nous pourrons mener cette lutte, dans une approche populaire, transversale et concertée. » et d’ajouter : «« Il faut que les responsables puissent réparer les conséquences de leur empoisonnement constant et suivi des terres, pour le seul enrichissement de quelques-uns. L’État ne s’en sortira pas avec un non-lieu. Nous défendons la liberté d’un peuple, empoisonné et prisonnier d’un modèle agricole obsolète et mortifère. Nous refusons l’impunité »,

Les associations et militants appellent la population à se mobiliser le samedi 27 février prochain à 8h30 à la Maison des syndicats. Pour dire : « Non à la prescription, non au non-lieu et au mépris d’État ». 

 

Par courrier du 5 février 2021, le président de la république, Emmanuel Macron répondait au courrier d’Alfred Marie-Jeanne qui l’alertait sur le dossier « chlordécone ». Le président Macron précisait entre autres :

« Au nom du principe de la séparation des pouvoirs, il ne m’appartient pas d’interférer ou de commenter les déclarations qu’auraient fait les juges d’instruction aux parties civiles. »

« Pour ce qui est en mon pouvoir de faire, soyez sûr que je serai là ! J’ai décidé en conscience de dire les responsabilités de chacun et d’assumer celles de l’Etat ! J’irai au bout »

 

 

 

« On est face à un crime de la Mafia, qui a trouvé des relais parmi nos décideurs, puisque dans le rapport des gendarmes, il cite le nom des élus qui sont intervenus pour demander la dérogation qui ont fait du lobbying en connaissance de causes. Depuis 70 on sait la dangerosité. Depuis les années 70,  donc en 1990 ceux qui utilisent leurs relations pour obtenir la dérogation, ils ne le font pas dans l’ignorance des conséquences.

C’est vrai que le secret de l’instruction limite ce que je peux vous dire mais le devoir que j’ai d’informer la population au nom de laquelle je porte plainte m’autorise à dire que des révélations que nous ont apporté les gendarmes d’Arcueil, il ressort aujourd’hui que le magistrat connait le nom des importateurs qui, au-delà même de l’interdiction, continuaient à importer du chlordécone malgré l’expiration de la prorogation qui leur avait été accordée jusqu’en 93 donc on sait maintenant que jusqu’en 94 on en a importé, avec le nom des gens qui ont importé en totale violation de la dérogation, puisque la dérogation avait été accordée pour écouler les stocks donc ça veut dire que l’importation était interdite depuis 90. Donc on a considéré qu’en leur accordant de 90 à 92, puis de 92 à 93, ils étaient censés épuiser ce qu’ils détenaient déjà depuis 1990, or qu’est-ce qui s’est passé ? les enquêteurs d’Arcueil ont découvert que les quantités qui étaient encore disponibles en 1994, ne pouvaient pas avoir été importées en 90 et donc ça veut dire qu’au-delà de l’interdiction, au lieu d’écouler les stocks, on s’est réapprovisionné en poison. Celui qui a acheté, déjà ce n’est pas un secret, ce n’est un secret pour personne que c’est HAYOT qui a racheté, au nom de la société Laguarigue, le brevet qui lui a permis de continuer à produire ce poison alors que tous les états du monde l’avaient déjà banni définitivement. Et alors qu’on leur avait donner l’autorisation, par dérogation, d’écouler leur stock, ils ont encore réapprovisionné leurs stocks de sorte que l’on constate qu’il y en a un d’entre eux, le même (Hayot) qui a importé 1560 tonnes. On a trouvé 1560 tonnes en 1994 de produits interdits alors qu’on était dans une phase d’écoulement de stock, à ce stade, il en trouvait  si bien que les enquêteurs disent que ça ne peut pas avoir été là depuis 90, ça ne peut résulter que de violation de la dérogation.

Donc pour l’heure aujourd’hui le juge a ces informations là, le juge sait que ces sociétés, pour importer, ont utilisé des noms de sociétés déjà liquidées au nom de fausses sociétés, de fausses factures ont été dressées et qu’on a interrogé ces personnes, elles se renvoient la balle. Aujourd’hui il y a de quoi mettre en examen ceux qui avant l’interdiction ont autorisé à utiliser un produit dont on ne connaissait pas la nocivité et la rémanence multiséculaire, il y a de quoi poursuivre aussi ceux qui au-delà de la dérogation ont continué à importer  alors qu’il ne leur a été permis que d’écouler leur stock : c’est un crime.

Aujourd’hui moi je dis que c’est criminel dès lors qu’en sachant que le produit fait des dégâts, en sachant que c’est dans le sol pour longtemps eu égard aux connaissances acquises en Virginie et a Hopewell, celui qui commande 1560 tonnes (Hayot), a délibérément choisi de faire passer le fric avant la santé. »

 

L’une des parties civiles dans l’affaire chlordécone, l’Association médicale pour la sauvegarde de l’environnement et de la santé Martinique (AMSES), par le biais de leurs avocats, Me Olivier Tabone et M Rachid Madid a saisi la cour de justice de la République pour déposer plainte contre 5 ex-Ministres.
Pour Me Olivier TABONE, présent lors de l’audition des parties civiles des 20 et 21 janvier dernier la seule voie de droit ouverte aux justiciables, à l’AMSES, autres parties civiles et aux victimes, c’était la Cour de Justice de la République. C’est la seule compétente si on entend obtenir la condamnation d’un ministre ou d’un fonctionnaire de l’État. « Notre argumentation est développée de façon très solide sur la base de plusieurs infractions en visant nommément 5 anciens ministres. Il existe un organe de la Cour de Justice de la République qui s’appelle la commission des requêtes. Elle doit vérifier le caractère sérieux de cette plainte.
Quant à Me Rachid MADIB, il précise que cette procédure devant la Cour de Justice est complémentaire de l’actuelle procédure pénale. dans ce scandale sanitaire et environnemental du chlordécone, il y a deux types de responsabilités. Des responsabilités de personnes physiques et morales. C’est-à-dire des chefs d’entreprises, des sociétés qui ont commercialisé, produit, utilisé le Curlone (le nom commercial qui contenait la molécule de chlordécone). Et puis, il existe d’autres responsabilités comme celles de ministres qui ont prolongé l’homologation du Curlone et du chlordécone de façon large.
Nous déposons donc cette plainte devant la Cour de Justice de la République pour que personne ne reste impuni dans cette affaire, qu’il s’agisse d’un ministre ou d’un simple chef d’entreprise dans le domaine agricole. On ne peut pas ajouter à un scandale sanitaire ce qui serait un scandale judiciaire.

 

Deux vice-présidentes de la cour d’appel de Paris chargées d’instruire les plaintes relatives à la pollution au chlordécone en Martinique et en Guadeloupe avaient fait une demande tendant à obtenir communication de la liste des archives de la commission d’enquête que l’Assemblée nationale avait créée sur cette question en 2019.
Ce mercredi 30 juin 2021, le bureau de l’Assemblée nationale a accepté  d’ouvrir à la justice les archives de la commission d’enquête sur le chlordécone, un pesticide qui a causé une importante pollution en Guadeloupe et en Martinique.